Outre le trésor de la cathédrale Saint-Aubain, le Musée diocésain de Namur abrite des œuvres en dépôt de nombreuses églises du diocèse. Dans cet article, nous examinons un ensemble composé d’une croix d’autel et de son pied, provenant de l’église Notre-Dame d’Harscamp, à Namur (désaffectée en 2004 et devenue un espace culturel, « La Nef »). Réalisés en argent sur une âme de bois, ces pièces, bien qu’exposées ensemble, ne faisaient pas partie du même ensemble à l’origine.

Origines et contexte historique
La production du crucifix est supposée dater du XVIIIe siècle, bien que l’artiste reste inconnu. Récemment, Michel Lefftz a attribué la réalisation du modèle sculpté du Christ au sculpteur namurois François-Joseph Denis (1749-1832). Le pied de croix a quant à lui été réalisé à Namur par l’orfèvre Nicolas Evrard (1698-1726), comme l’indiquent les poinçons de la Ville de Namur et de l’artiste, imprimés au revers.

La réalisation du pied de croix à la toute fin du XVIIe siècle est confirmée par l’inscription en latin située à l’arrière : elle renseigne une donation de Jean-Gérard Lambillon et de son défunt frère Jean-François à la paroisse Saint-Michel de Namur en 1698. Jean-Gérard Lambillon, fiscal de la Judicature qui gère les droits d’entrée et de sortie de la Ville de Namur, est un personnage historique significatif : il est conseiller du Conseil Provincial de Namur et anobli par le roi Charles II d’Espagne.
La paroisse Saint-Michel était initialement située dans la collégiale Notre-Dame de Namur, érigée au pied de la citadelle. Démolie par les Français en 1803, la titulature de Notre-Dame est transférée à l’ancienne église du couvent des Récollets, qui sera désormais connue sous le nom de Notre-Dame d’Harscamp. Après la désaffectation de celle-ci en 2004, plusieurs objets sont transférés dans d’autres paroisses de Namur, ainsi qu’au musée diocésain.

Iconographie et héraldique
Le pied de croix présente une iconographie riche, notamment la représentation du tétramorphe, qui rassemble les symboles des quatre évangélistes : le bœuf pour saint Luc, le lion pour saint Marc, l’aigle pour saint Jean, et l’ange pour saint Mathieu. Le crucifix, quant à lui, montre une sculpture en haut-relief du Christ entourée de coquilles et de fleurettes ornementales, notamment des feuilles d’acanthes.

Sous l’inscription de donation, nous trouvons le blason familial des Lambillon, décrit comme « d’argent à la fasce de gueules, accompagnées de trois merlettes des sables ». Ce blason comporte en effet trois merlettes, deux en haut et une en bas, séparées par une bande. Le cimier représentant un chien symbolise la fidélité et la loyauté, et le casque est celui d’un baron correspondant au titre de noblesse des Lambillion. Enfin, les lambrequins présents sur le blason représentent la vaillance combative.
Enfin, on y retrouve les débuts de deux versets de la bible en latin, issus des Évangiles de saint Jean et de saint Luc, à savoir (traduit en français) : « Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique » (Jean 3, 16) et « Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela et qu’il entrât dans sa gloire ? » (Luc 24, 26). Inscrits dans le livre ouvert au pied de la croix, ces versets incitent à suivre l’exemple du Christ en rappelant l’importance du mérite et du sacrifice dans la recherche d’une vie chrétienne. Placé sur l’autel à la vue de tous, cet ensemble haut de 140 cm pouvait en effet attirer la prière des croyants.
Conservation et restauration
Ces objets de dévotion sont constitués d’une ossature en bois recouverte d’argent mis en forme selon la technique du repoussé. Cette méthode de travail à froid consiste à enfoncer une feuille de métal pour lui donner la forme de motifs en relief, contribuant à la complexité et à la beauté de ces pièces. Le Christ en haut-relief est coulé séparément, et le relief des feuilles d’argent, malgré leur finesse, ajoutent une dimension esthétique et matérielle importante à l’ensemble.
Les objets composés de matériaux variés tels que le bois, l’argent et d’autres métaux nécessitent une attention particulière. L’oxydation de l’argent, causée par le soufre ou le chlore présents dans l’air, est un problème de conservation majeur, pouvant entraîner un ternissement du métal. Les rivets en fer, souvent utilisés, peuvent être à l’origine d’une oxydation sévère et de l’apparition de rouille. La présence de vernis à la surface doit également être prise en compte.
Pour assurer une bonne conservation du métal et de sa structure en bois, le taux d’humidité relative doit idéalement être maintenu autour des 50%. Il convient surtout d’éviter des écarts importants d’humidité susceptibles de provoquer de la condensation sur le métal. Par ailleurs, la fragilité des attaches et des zones de boulonnage nécessite de manipuler les pièces avec précaution lors des déplacements. Il est important de préciser qu’il est nécessaire de porter des gants au contact avec ce genre de pièce ; le sébum sécrété par les doigts contient en effet un acide gras qui attaque la surface de l’argent.

Proportionnellement à la quantité d’objets liturgiques en métal conservés dans les églises, le nombre de restaurations approfondies de ce type d’œuvre sont rares, et plus souvent réservées aux pièces maitresses. Ces interventions doivent être confiées à un restaurateur spécialisé, à même d’identifier les matériaux et les techniques utilisés, afin d’effectuer les traitements de conservation adaptés. Il convient aussi de s’interroger, au cas par cas, sur le réel intérêt d’un traitement de restauration. La répétition de nettoyages agressifs peut endommager les pièces, et ne sont pas toujours utiles, surtout si celles-ci ne sont plus utilisées. Un dépoussiérage constitue cependant une excellente mesure de conservation accessible à tous. Dans le cas de la croix d’autel de Notre-Dame, un dépoussiérage à sec avec un chiffon non abrasif a été effectué, suivi d’un nettoyage superficiel avec des cotons imbibés de white spirit pour les parties fines de la sculpture en repoussé. Cette méthode permet d’éliminer la poussière, parfois collante, de même que les traces grasses de doigts ou de cire.
Conclusion
L’ensemble sculpté en argent et bois, composé d’un crucifix et de son pied, est une pièce significative tant par sa valeur historique que par son esthétique. Les soins de conservation et de restauration permettent de préserver ce patrimoine pour les générations futures, tout en offrant un aperçu fascinant de l’art et de la dévotion religieuse du passé. Les recherches continues et les hypothèses sur les origines de ces objets enrichissent notre compréhension et notre appréciation de ces trésors liturgiques.
Selen Selvitop (stagiaire en histoire de l’art de l’UCLouvain)
Bibliographie
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M. LEFFTZ, F. GIOT, S. COLLARD e.a., Des mains de maitres. Sculpteurs baroques et rococo à Namur (17e-18e s.), catalogue d’exposition, Namur, Pôle muséal les Bateliers, 14 mai – 8 septembre 2024, Namur : Ville de Namur, 2024.
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